«J'ai toujours rêvé d'être le chaînon manquant entre Joe Strummer et Joe dassin.»
Le rêve de cet artiste belge est-il atteint? En tout cas, il sort son quatrième album et nous fait partager une fois de plus sa musique légèrement pop, entre chanson et rock...
C'est un réel plaisir de rencontrer Jeff Bodart, tant son humour et son accent sont... belges ! Mais Jeff réplique aussitôt: "Si la Belgique existait, je le saurais. Quand on me demande "c'est quoi la Belgique?", j'ai envie de répondre comme Peter Sellers le faisait lorsque l'on lui demandait "que pensez-vous du cinéma anglais ?". Il répondait: ce serait une merveilleuse idée ! "
FrancoFans : Peux-tu nous résumer ton parcours ?
Jeff Bodart : J'ai commencé la musique comme pas mal de gens, en montant des groupes punk, avec des tournées internationales. C'est-à-dire, un jour dans l'école des filles, l'autre dans l'école des garçons. Après ça, j'étais chanteur dans un groupe qui s'appelait les Gangsters d'Amour, nous avons sorti deux albums chez Warner, fin des années 80. Il y a une chanson qui s'appelait Coûte que coûte, qui a pas mal marché, un vrai tube top 50 ! Nous étions très dynamiques sur scène mais... En fait, j'ai arrêté les Gangsters d'Amour quand j'ai vu la Mano Negra à la télé ; je me suis dit, en gros: "Au fond, il y a des gens qui le font aussi alors il n'y a pas de raison de continuer" ( rires) ! En même temps j'en ai eu assez de me planquer derrière douze mecs en colère pour écrire des pseudo chansons. Il fallait que j'affirme et ma verve et mon vecteur d'expression. Il fallait que j'écrive de vraies chansons et que je les chante moi-même donc j'ai créé Jeff.
Quand tu étais jeune, as-tu eu une formation musicale ?
On a essayé de me faire jouer du piano pendant cinq, six ans... mais au fouet, enchaîné au piano ! Moi je ne comprenais pas pourquoi lorsque je rentrais à la maison, je devais me mettre au piano et aller aux cours alors que mes copains se tapaient dessus dans la rue et faisaient du vélo. Donc, ça m'a très fortement énervé et lorsque j'ai pris un peu d'assurance vers onze, douze ans, j'ai négocié avec mes parents pour passer du piano à la guitare, et pour passer de la guitare acoustique à la guitare électrique, il n'y a qu'un pas que j'ai franchi allègrement... au grand désespoir de mon entourage. En plus c'était l'époque du punk : donc pas de batterie parce que c'est pour les hippies et on n'en a pas besoin, moins on en dit, mieux ça va, et plus ça joue fort, mieux c'est. On est à trois dans une cave et ça beugle avec des noms aussi flamboyants que Spasmes, Aphrodisiaque et compagnie ! Enfin, c'est magnifique ! (Rires)
Donc maintenant, tu t'es assagi et tu affirmes un look "régulier" avec ton chapeau...
Régulier, je ne sais pas... J'aime bien sortir couvert ! J'ai porté une casquette pendant très longtemps et une fois que j'ai achevé mes cheveux, je me suis dit : "la casquette tout le temps n'est pas nécessaire !" Mais je trouve ça élégant un chapeau. Et je vais dire un truc, tu vas croire que je suis fou mais c'est la vérité, je collectionne les chapeaux depuis que j'ai quatre ans.
Très peu d'artistes belges percent en France dans le milieu de la chanson, comment expliques-tu cela ?
Avec le groupe nous avons tout de même réussi à fédérer un noyau de fidèles qui, où que l'on aille et quoi que l'on fasse, nous suit partout. J'ai l'impression d'être patron d'une troupe scout ! C'est tout le temps les mêmes, on peut compter sur eux, ils sont très gentils, je n'emploie pas le mot fans parce que je le trouve péjoratif, mais ce sont des gens avec qui l'on partage une certaine vision de la musique et de la chanson. C'est vrai que nous tournons surtout en Belgique et dans le nord mais en même temps, je pense que nous avons été à peu près partout en France... Le problème c'est que nous avons surtout fait des festivals et très peu de salles. Ce qui m'a aidé, c'est que j'ai fait toute une série de concerts avec mon meilleur ami, Kent, nous avons joué ensemble plus que nos deux âges réunis !
Tu as sorti ton quatrième album récemment, les paroles y occupent une grande place, est-ce pour toi le plus important ?
Elles sont pour moi très importantes mais depuis deux disques, il m'arrive de me faire tailler des textes sur-mesure. J'écris beaucoup mais me reprendre, me revoir et me regarder dans l'œil de quelqu'un d'autre, je t'avoue que ça a déconnecté autre chose... c'est une espèce de bol d'air. Par exemple, avec Miossec, nous avons fait une chanson pour lui sur son album et deux chansons pour moi sur mon précèdent disque et je me suis dit que c'était une expérience très intéressante. Je me pensais incapable de chanter les textes de quelqu'un d'autre, c'était de la superstition pure, ça, c'est ma crétinerie d'Artiste avec un grand A. Je me sens presque mieux à chanter les chansons des autres, bon j'exagère là ! Kent, Benoît Poelvoorde m'ont écrit des textes, ça donne un coup de sang, je me suis dit "c'est génial, et si je ne faisais plus que des reprises !" non, je rigole ( rires)! C'est vrai que se voir dans l'œil de quelqu'un d'autre, la petite loupe... c'est chouette, ça me plaît ! Alors je retenterai l'expérience mais à un moment donné, comme je suis assez têtu, il faudra que je mette ça sur disque. En plus, d'écouter ce que font les autres c'est super bon pour l'ego, pour l'humilité... Il n'est jamais trop tard pour apprendre.
Aux Francofolies, cet été, Benoît Poelvoorde devait t'accompagner, tu travailles beaucoup avec lui ?
Ouh la la ! C'est des vieilles histoires ça ! C'est un ami d'enfance. On ne travaille pas beaucoup ensemble par contre, on part en vacances ensemble, on boit, on fait les cons, enfin la vie quoi. Il nous est arrivé d'écrire des textes et il a réalisé un clip pour moi. Faire les cons nous savons très bien mais professionnellement, nous n'avons pas vraiment d'expérience tous les deux. Bon déjà, j'ai un problème avec "professionnellement", c'est le préfixe " pro " !
Pourtant, tu es un " professionnel" de la musique ?
Non, je ne suis professionnel de rien du tout. Je serai un débutant et un amateur toute ma vie, le jour où je serai professionnel dans quoique ce soit, je m'en irai. S'il fallait être professionnel pour gagner sa vie, ça se saurait. Je suis l'anti-professionnel par excellence. Cultiver la curiosité, l'enthousiasme, une certaine vivacité, ça passe par le non professionnalisme. Ce n'est pas pour ça que l'on ne fait pas bien les choses... Quand tu aimes quelque chose, tu le fais bien. C'est comme le mot "produit". Tu sais comment les maisons de disques appellent la nana qui s'occupe de moi ? Un chef de produit ! Je suis un produit ! Super !
Donc tu n'arrives pas à rentrer dans le moule des grandes maisons de disques ?
Nous sommes deux, ils ont du mal avec moi aussi ! ( Rires) Ils me voient débarquer et ruer dans les brancards, je peux te dire que c'est des deux côtés que ça fait des dégâts !
Noémi Micheau, photos de Fabien Espinasse