"Ça ne me suffit plus». Même sans point d'exclamation, le titre du troisième album solo de Jeff Bodart claque comme la porte derrière laquelle on a décidé d'abandonner quelques vieux oripeaux. Il a beau avoir été un gangster (d'amour) dans les années 80, il a fini par se laisser enfermer dans une espèce de personnage policé, sympathique et positif. Et ça, ça ne lui suffisait plus. «Je ne me voyais pas faire un disque de plus qui n'éclaire pas une autre facette de ma personnalité.» Alors les chansons se sont fait plus graves à l'instar de «Depuis que t'es partie». L'histoire d'une histoire qui se termine. Ou l'art de dire avec des mots légers des choses lourdes de conséquences: «Depuis que t'es partie/Ma clef dans la serru- re/fait un bruit délicieux/J'ai repeint tous les murs/Aux couleurs que je veux» Une manière aussi de démontrer par l'absurde une certaine logique du logis. L'équation du couple se traduirait-elle par un plus un ou un moins un? «Je pense qu'il n'y a pas de recette. S'il y en avait, ça se saurait. Je suis très content et fier des couples qui ont pu exister par moi. Je sais que ce sont des aventures difficiles. En ce qui me concerne, ce sont toujours des aventures qui ont commencé, qui ont existé et qui se sont terminées. La pérennité du couple et le système de vie à deux à jamais ne font pas partie de mes valeurs. Mais cela s'est pas mal arrangé depuis le moment où le simple mot couple me rendait fou.»
Planqué, pour ses précédents albums, derrière son personnage primesautier, Jeff Bodart en aurait-il oublié de nous parler de lui? Est-ce bien lui, cette fois, qui se cache derrière ces histoires d'amours empoussiérées, cette joie simulée du célibat retrouvé, mais aussi une satire du bon goût ou une ode anti-macho? L'emploi de la première personne du singulier une chose assez nouvelle pour lui pourrait le laisser supposer. «On peut s'identifier aux chansons, mais je pense qu'il ne faut pas s'identifier aux chanteurs. Dans toutes les chansons que je chante, il y a plein de choses autobiographiques et, en même temps, il n'y en a pas ou vécues différemment. Dans le cas précis de ce disque, une ou deux chansons étaient un peu moins autobiographiques au départ, mais le sont devenues par la suite.» Auteur-compositeur-interprète, Jeff Bodart n'a certes pas tout écrit sur cet album. Il s'est entouré des fidèles (François Bernheim, Olivier Bodson, Pierre Gillet) tout en faisant appel à de nouvelles collaborations (Rudy Leonet, Miossec, Marc Morgan, les Hached, Benjamin Biolay ou Jean-Marie Aerts). «Pour les textes, j'ai fait écrire par d'autres des choses non pas que j'aurais eu du mal à exprimer, mais que j'aurais eu du mal à interpréter il y a quelques temps.» Comme «La vie la mort» où il chante: «La vie vaut le coup d'être vécue/Pour ceux qui sont de bons coups/ La vie vaut le coup d'être vécue/Pour celles qui ont de beaux culs»? «J'ai toujours pensé que le cynisme, c'était pas pour moi mais encore une fois, je ne suis pas à l'abri d'une contradiction . En fait, si. Parfois, il faut juste davantage se dévoiler.» Et saupoudrer ses textes d'une once d'impertinence et d'insolence, quitte à réaliser un disque qui ne plairait pas à ses parents? «Ce que mes parents trouvaient de sympa dans mes disques précédents, c'était justement la petite chanson pour être de bonne humeur le matin. Je voulais dissiper le malentendu. Ma mère a trouvé le disque très beau, mais elle était en larmes pour me le dire. Ce n'était pas que d'émotion, je pense qu'il y a des choses qui l'ont vraiment touchée. Je peux aisément imaginer que, pour une maman, voir son fils exprimer des états d'âme de ce type, cela puisse être émouvant. «La vie la mort», elle doit trouver cela un peu choquant. Quoique, elle en a vu d'autres.»
Se montrer en face alors qu'il vivait surtout en pile, dissiper les malentendus et abandonner la sacro-sainte casquette. Changement de fond, changement de forme. Dorénavant, un élégant chapeau recouvre de temps en temps sa boule, pas tout à fait à zéro, mais savamment entretenue. Avec des favoris aiguisés au couteau, un diamant à l'oreille et deux bagues aux doigts, on se dit que le sieur accorde une certaine importance voire une importance certaine au look. «Je suis plutôt coquet (rires). Non, c'est vrai, je ne m'en cache pas. En même temps, c'est une marque de respect par rapport à l'entourage. J'aime plutôt être bien sapé. Enfin, bien habillé, ça veut dire quoi, aussi?»
De toute manière, un couvre-chef, ça n'est pas du luxe en Belgique. Pour empêcher les gouttes de jouer du piano sur le crâne par exemple. Celui qui chante «Le soleil fera le reste» est-il sensible aux saisons? «Je suis tout sauf d'humeur égale, mais je ne peux pas dire que les saisons m'influencent. De ma vie, je crois que je n'ai jamais regardé la météo, ça ne m'intéresse pas. Quand il pleut à seaux, c'est évident que je trouverais plus marrant qu'il fasse soleil, mais bon.»
Du soleil, il en connaît sous une autre forme, celle de faire la fête avec ses amis. «Mes amis sont importants pour moi et j'espère secrètement être important pour eux. L'amitié, c'est très important. On n'en parle pas toujours. On parle davantage de l'amour. Mais pour avoir de l'amitié, il faut beaucoup d'amour. C'est presque un travail à temps plein. J'aime ça. Et la fête qui va avec. Non, c'est plutôt la fête qui est le signe d'amitié que le contraire.» M-A. Georges
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