Jeff Bodart

Jeff Bodart

Presse 2000/2002

L'actualité de la semaine vue par Jeff Bodart.

La Libre Belgique, avril 2001

SAMEDI 7
La promotion d'un nouveau disque, c'est comme un marathon : c'est tenir qui compte. Et aussi arriver à parler de soi, encore de soi, toujours de soi, parfois jusqu'à l'écœurement. Mais quelle chance de pouvoir prendre tribune et partager ainsi ce que l'on aime le plus faire au monde ! Néanmoins, on roule le nez dans le guidon, à disserter de choses plus ou moins intimes, tout en essayant de communiquer l'enthousiasme et la motivation qui fondent les grands projets. Un peu en marge de la vraie vie et de ses débordements, en somme. Mais aujourd'hui, c'est différent : j'ai l'impression de regrimper dans le monde en marche. Une seule question : serai-je à la hauteur? Bon, on verra demain, je sens que je parle encore de moi.

DIMANCHE 8
J'enrage! Aujourd'hui, c'est un vrai dimanche: il ne se passe rien! Mes débuts de chroniqueur vilipendeur et d'as de la diatribe médiatique semblent compromis. J'avais pourtant affûté ma plume la plus acérée et préparé mon meilleur venin. Il ne me reste plus qu'à ranger tout ça et aller au cinéma. Quoique... Le plus beau film du monde trône dans son écrin, juste à côté du magnéto...Ok, c'est décidé, je regarde "Magnolia" pour la cinquième fois. Et au pire, je dirai que c'est pour les chansons d'Aimée Mann, dont je suis fan professionnel.

LUNDI 9
Aujourd'hui, j'ai acheté une nouvelle paire de chaussures. Dans le magasin, j'ai entendu ma chanson "La vie, la mort"... (La vendeuse m'a dit en souriant que c'était moi dans le poste.) C'est Miossec qui m'a écrit le texte et ma mère trouve les paroles un peu "vertes" (elle dit que je dis trop "cul"). C'est marrant d'entendre un texte aussi improbable à la radio. Le monde change et moi aussi. Cet après-midi, je termine la musique d'un film, "Petite Misère", qui sortira à la rentrée. C'est très excitant, même si c'est dur parfois d'écrire au service des projets d'autrui. Mais Marie Trintignant est complètement envoûtante et Bouli est un acteur formidable. Je n'arrête pas d'écouter le nouvel album de Nick Cave. Cette fois c'est sûr, le roi est revenu réclamer sa couronne.

MARDI 10
Le VLD veut "blanchir démocratiquement" quelques "pauvres brebis égarées et repenties" du Vlaams Blok. Ça va pas, non? A force de vouloir faire l'unanimité, ils finiront par rendre invisible la bête immonde et pourtant elle sera là, tapie dans leurs rangs. La tentation est sans doute forte et l'attrait du pouvoir pire que le chant des sirènes (brunes?). Trop de partis de droite y succombent (y compris en Wallonie) et d'indécente, la droite "classique" en deviendra infréquentable. Isolez la bête ignoble et montrez-la du doigt ! Bon, aujourd'hui, une fois de plus, Jeff est amoureux. Décidément, quel cœur d'artichaut, ce Jeff!

MERCREDI 11
Aujourd'hui, j'ai rencontré Thierry Bellefroid et il est très sympa. Il m'a invité à déjeuner pour parler d'un éventuel "Signé Dimanche". On a beaucoup parlé de bouquins et de bandes dessinées. Je lui ai parlé de Philippe Delerm ("Première gorgée de bière et autre plaisirs minuscules") et il m'a parlé de Rabaté ("Ibicus") et de Lewis Trondheim (Je les vénère !) Il a même promis de me les présenter. Il m'a même filé le téléphone de Rabaté (Oserais-je l'appeler?) Ariel Sharon, ses amis et ses ennemis réinventent le concept de la Paix Sanglante. Et le Boucher de Sabra devient l'Ogre de Gaza. Le serrage de louche Arafat-Rabin ou les politesses d'écoliers rigolards de Camp David, tout cela n'existe plus, nous l'avons juste rêvé. C'est donc cela qu'on appelle la politique : une "bonne" guerre plutôt qu'une paix courageuse et difficile. Que de temps perdu, d'horreurs endurées, de vies sacrifiées pour ces gens condamnés de toute façon à s'entendre tôt ou tard. Sharon, nous voulons la paix en Israël et dans les territoires palestiniens, et maintenant!

JEUD1 12
Jérôme Lindon est mort ! Mais quelle vie formidable ! Ce gars-là a été le véritable pygmalion de la littérature française d'après guerre (Vercors, Beckett, Wiesel et Duras lui doivent à peu près tout, sauf leur talent). C'était l'inventeur du "Nouveau Roman", le directeur-découvreur des fameuses Editions de Minuit et le grain de sable charismatique qui a longtemps chatouillé le ronron des grandes éditions. Mais il a aussi été un frondeur courageux et opiniâtre, inculpé et censuré pour ses publications dénonçant la torture pendant la guerre d'Algérie. Il a dû mourir presque serein et apaisé après les dernières révélations (ou aveux!) de certaines vieilles badernes de la soldatesque française. C'est drôle, je l'envie presque. C'est comme si je mourais un jour en ayant connu enfin le déclin de l'empire américain et de ses minables sergents du monde.

VENDREDI 13
II est très tard et nous sommes déjà vendredi. Je ne serai pas là de toute la journée, studio oblige. Je nous parlerai donc d'une sacrée journée qui n'est qu'à peine commencée. Vite, un petit tour nocturne sur le Net... Ouf, la terre tourne encore, et après auscultation (selles fermes et urine claire), le monde tremble, mais l'humanité marche toujours debout. Et même si ça ne nous suffit plus, pour cette nuit ce n'est déjà pas si mal. (Quelle connerie, ces histoires de vendredi 13!) Mes amis me manquent... Ce soir, on va voir mon pote Riton, qui joue au Poche. Après, on ira boire des coups, et peu importe où, car c'est l'homme qui fait le bar. (*) Voir le portrait de ce chanteur-né-carolo dans "La Libre Culture" mercredi 18 avril prochain.

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