Presse 1998/1999
Jeff Bodart, le jardinier de sa passion
Le Soir, février 1998
Il sera sur la scène du Botanique ce vendredi 6 mars Jeff Bodart, le jardinier de sa passion
Les chanteurs passent leur vie à raconter celle des autres. Mais eux, qui sont-ils exactement? D'où leur vient cette passion? A travers ces portraits d'artistes, nous vous proposons de découvrir les plus remarquables d'entre eux: aujourd'hui, Jeff Bodart.
PORTRAIT
En baissant les yeux pour ne pas heurter de son regard la visière de sa légendaire casquette et apercevoir ainsi le lit de la rivière de sa vie parsemée d'immenses joies et d'autant de doutes, Jean-François Bodart peut afficher une mine avenante et épanouie. Même si le sentiment du devoir accompli l'exaspère au plus au point, celui qui s'est fait connaître en emmenant ses sautillants et rutilants Gangsters d'Amour aux quatre coins du globe sait se montrer humble lorsqu'il remplit son caddie avant de mettre les commissions dans le frigo. Jeff Bodart gagne sa croûte avec sa passion. Un feu sacré où les notes, les chansons et les émotions ont relégué depuis presque la moitié de sa vie le papier journal et le petit bois habituellement réservé à la cheminée. A l'image du verre à moitié plein et du verre à moitié vide, Jeff opte pour la moitié pleine. Ceci dit, je pourrais très bien dire l'inverse dans cinq minutes mais il faut laisser aux artistes le soin de se contredire, c'est important. Comme sa passion qu'il cultive tel un jardinier attentionné et prévenant qui jongle avec ses cisailles avec autant de dextérité que le samouraï avec son florilège de sabres. Au fil des ans, Jeff s'est ainsi façonné une existence à l'instar des parchemins du 'Secret de la Licorne' de Hergé. Comme Tintin lorsqu'il superpose les morceaux de vieux papiers rongés par le temps pour découvrir le Graal, l'aîné des quatre Bodart a fait de sa vie un tout. Une destinée où la complicité avec sa compagne a autant d'importance que ses amis ou son métier. Quoique lorsqu'on a le luxe de vivre de ce qu'on a toujours rêvé, un boulot qui consiste à écrire des chansons et à les interpréter s'apparente plus à une avalanche de plaisirs qu'à une tornade de contraintes.
LE COIN COUPANT DE LA HACHE
Jean-François Bodart est déposé par les cigognes à moins que ce ne soit à la suite de cascades d'un père médecin-dentiste et d'une mère au foyer? dans une chambre de l'hôpital Reine Astrid de Charleroi aujourd'hui détruit et remplacé par les nouvelles tribunes du Sporting de la ville. Aussi longtemps que je me souvienne, mon premier souvenir remonte à l'âge de deux ans. Je suis dans la cuisine debout dans une espèce de grenouillère et je regarde mes pieds chaussés de deux pantoufles rouges magnifiques avec deux petits boutons noirs sur chacune d'entre elles. Déjà le sens de l'élégance? A l'école primaire de Farciennes, Jean-François accumule les bons résultats. Il est premier de classe. Et son enfance ressemble à celles de milliers d'autres ayant eu la chance d'avoir des parents unis et un toit où il fait bon vivre. Il va aussi aux louveteaux. Faire son apprentissage de la vie en groupe. J'avais déjà un côté meneur de groupe , concède-t-il. J'avais décidé d'être le coin coupant de la hache et le mobilisateur d'énergie. Exception faite lorsqu'il doit s'asseoir, avant ses devoirs, derrière le piano familial développer une haine féroce envers Bach et Schubert au lieu d'y prendre du plaisir. Ses premiers pas sur une scène, Jeff les réalisera lors d'un spectacle scolaire à l'âge de six ans à l'occasion d'une version d'anthologie d'un classique des Poppys. Avant d'écrire vingt ans plus tard, 'Du vélo sans les mains' avec François Berheim, l'homme qui écrivait... pour les Poppys. A douze ans, il achète son premier 45 tours: 'Let's Spend The Night Together' des Rolling Stones. Et dès qu'il aperçoit le bus de la Médiathèque sur la place de Farciennes, il cavalcade pour dévaliser les rayons Stones, Kinks et Roxy Music. Jusqu'au jour où déboulent dans le paysage sonore les Bijou et Starshooter de son futur pote Kent. Alors que la chanson française était la musique de papa et maman, voilà que débarquent des gamins qui combinent l'urgence du punk à la langue française.
'MÉFIEZ-VOUS DES CHANTEURS À CASQUETTES!'
J'ai su dès ce moment ce que je voulais faire de ma vie et ça m'est venu d'un coup comme un vieux con rebelle avec le mouvement punk qui m'a à moitié lobotomisé. Je crois que je ne serais jamais mature et adulte responsable. C'est pour ça que je suis conscient de manger mon pain blanc. Je sais que je me retrouverais dans un corps de veillard avec une âme d'enfant. Pourtant, il n'y a rien de plus magnifique et touchant que de voir un vieux respirer la sérénité et la sagesse. La paix n'est pas de ce monde pour moi, je dois faire avec. L'adolescence turbulente, ponctuée par un C 4 au collège Sacré-Coeur de Charleroi pour accumulation de scandales moyens et achevée après deux candis en Sciences politique en dilettante, évoluera et débouchera sur l'aventure Gangsters d'Amour. Jeff est à son affaire dans la peau d'un chef de gang looké 'Brigades du Tigre' d'une dizaine de personnes. 'Arrêter avant de (se) lasser' semble avoir été la devise de ce boulimique de lecture qui n'a pas tardé à rallumer la chaudière en trio et qui vient de sortir un deuxième album 'Histoires universelles'. Sans tambour ni trompette, comme dans sa chanson du même nom. J'aime bien dire les choses en demi-teintes comme dans la chanson 'Du vélo sans les mains' qui dit que 'Le bonheur c'est facile quand on y met du sien/Le bonheur c'est facile comme du vélo sans les mains'. Je ne sais pas si vous avez déjà essayé du vélo sans les mains mais ça peut vite devenir du vélo sans les dents. Alors méfiez-vous des chanteurs à casquette qui vous disent qu'il suffit de siffler pour que tout aille bien!
Sympathie et proximités
Vers 14-15 ans, il met sur pied son premier groupe, Spasmes, dont le seul fait d'armes est d'avoir écrit un hit en puissance auquel la planète a échappé: 'Sors de ton trou'. S'ensuit une place de guitariste chez Aphrodisiaque qui laissera une marque dans l'histoire du rock belge avec 'Sex Symbol', un 45 tours autoproduit. Au milieu des années 80, les Gangsters d'Amour sillonneront le globe avec des chansons pleines de swing et de vitamines 'Meurtre à Hawai', 'SOS Barracuda', 'Le Baron Rouge' dans leurs étuis à violon. Alors que le matériel pour le troisième album existe bel et bien, le groupe ouvre sa garde-robe pour y déposer définitivement chemises et bretelles sur les cintres. En quelques morceaux 'Chacun son histoire' le premier album de Jeff Bodart 'Du vélo sans les mains' fait parler de lui. La sympathie qu'il dégage sur scène et la proximité de ses concerts font le reste. Ses quatorze nouvelles chansons réunies dans 'Histoires universelles' possèdent toujours cette accroche mélodique qui les rend mémorisables en trois coups de cuillère à pot. Toujours entouré sur scène par ses fidèles amis Olivier Bodson et Pierre 'Julio' Gillet, Jeff aura une trentaine de concerts dans les jambes avant le concert du Botanique. Un bon warm-up, en somme. Phlippe Manche
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