Jeff Bodart

Jeff Bodart

Presse 1998/1999

Un instant universel avec Jeff Bodart

Le Contrepied, mai 98

La casquette vissée sur le crâne, Jeff Bodart égrène ses chansons, coulées dans le format pop, comme autant d'Histoires universelles. De celles qui n'ont finalement rien d'exceptionnel et qui ne sont vraiment pas nouvelles. L'homme est aussi classé chanteur optimiste. 'Mais, honnêtement, je ne serais que ça, je deviendrais suspect quand même !'

C'est quasi une évidence : l'ex-Gangters d'amour (Du vélo sans les mains, Chacun son histoire, Une histoire universelle,...) ne se reconnaît dans aucune interview que l'on réalise de lui. 'On sait comment sont les gens : ils ont soif d'extrême et d'absolu. Alors, forcément,...' Il déteste, dès lors, en lire. En donner, pourtant, ne le gêne guère. Au contraire... car quoi de plus excitant pour ce passionné de musique que de parler de la chose qu'il aime le plus au monde. D'autant qu'une interview 'dégénère tout de suite en psychothérapie...pas chère'. Le chanteur n'est pas à une contradiction près... d'ailleurs, c'est lui qui le dit. 'Il faut laisser aux artistes et aux gens en général le droit de se contredire. On vit dans un monde où c'est blanc ou noir. Maintenant, je peux t'expliquer que c'est blanc, hier, aujourd'hui, toute la vie, et te revoir demain et te dire que c'est noir tous les jours, toute ma vie. Et pourtant, je te parle de la même chose. La vérité est au milieu de tout cela, c'est une forme infinie et la meilleure façon de la cerner, c'est de se contredire'.

Commode, le vélo sans les mains ?

Son hobby, il précise, c'est le mensonge et faire des chansons qui lui permettent de le cultiver. Alors, le bonheur, c'est facile quand on y met du sien ? Faux ! 'Si tu écoutes toute la chanson (Du vélo sans les mains), tu te rends compte que le bonheur, c'est beaucoup plus difficile que ça. As-tu déjà essayé de faire du vélo sans les mains? Cela peut très vite se transformer en du vélo sur les dents. La chanson comprend un double langage. : il y a le côté premier degré, positif etc, et puis il y a tout ce qui se cache derrière. Ne chanter que l'optimisme revient à appliquer la méthode Coué. Dire que tout va bien ? Qui peut le croire ? Personne. Mais, dans le même temps, même si les gens ne sont pas dupes, j'ai envie de faire passer cette émotion là.' Voilà sans doute une autre version de l'histoire du verre à moitié plein (qu'il préfère boire ) et du verre à moitié vide (qu'il n'exige pas pour autant). ' Je crois en l'humanité dans le sens où je crois que la morale collective progresse. Des choses qui nous paraissent barbares aujourd'hui ne le paraissaient pas à nos parents, il y a trente ou quarante ans et les choses qui paraissaient barbares à nos parents ne l'étaient pas pour leurs propres parents? Et même si on se dit : Oh ! Tout fout le camp' , c'est la guerre partout', dans le pur style des discussions de café du Commerce, on se sent, par la force des médias, plus citoyen du monde, et, donc, forcément, plus interpellé. Je pense très fort que le niveau de conscience collective s'élève. C'est rassurant.' Mais Jeff Bodart ajoute illico : 'Et qu'on ne me traite pas d'optimiste forcené ! Parce que je suis également capable de dire l'inverse. Mais, dans le même temps, c'est vraiment un truc que je sens. Une évidence. Si les gens n'en étaient pas persuadés, ils ne feraient plus de gosses...'

Une chanson n'a jamais changé le monde
Jeff Bodart touche son public par ses histoires d'individus. Comme lui ou vous. Ah ! L'anecdote ! 'C'est , je pense, en parlant de petites choses qui me concernent, moi, ou qui concernent les gens autour de moi qu'on permet à d'autres personnes de s'y identifier. C'était le principe de l'album Histoires Universelles. Des trente à quarante chansons de départ, on en a gardé quatorze, celles qui nous semblaient anectodiques pour tout le monde. Comme des chansons collectives. Cela fait très prétentieux de parler ainsi. Mais c'est une tentative, une quête... En tout cas, c'est passionnant de découvrir les choses en soi et autour de soi, et de définir le trait qui les rend universelles.' De là à cautionner l'idée même de chanson engagée ? Un pas à ne pas franchir. 'Quand même Bob Dylan dit qu'aucune bonne chanson n'a jamais changé le monde. Je pense qu'il a raison. Ce gars -là est mieux placé que quiconque pour nous faire la leçon. Les artistes sont simplement le miroir du monde. Parfois. On s'y regarde et s'opère une certaine prise conscience à cause de la distance. Ca, c'est génial. Mais il n'y a rien de plus.' Faut décidément pas se leurrer. 'Qui a besoin des artistes ? Personne ! C'est la cerise sur le gâteau. Des fois, on en fait un foin pas possible. Tu m'interviewes mais il y a des tas d'hommes politiques engagés aux discours plus précis qui justifieraient plus que moi d'avoir une place dans les colonnes de ce canard.' Coup de cafard. ' Parfois, je me dis : ' Putain, Jeff, tu ne sers à rien, tu es chanteur.' On parle toujours de la générosité de l'artiste . Ca me fait rigoler : tu as vu ce que le public lui rend. Il le lui rend au centuple. Je me dis donc : 'Jeff , c'est quoi ta vie, quelle futilité ! Quel non-sens ! Quelle absurdité !' Ma seule consolation : l'artiste est le dernier maillon de la chaîne économique par exemple, il ne fait pas partie des exploitants.'

Chacun sa vie d'artiste
Pas de doute, le mythe de l'artiste, Jeff Bodart le refuse net. 'Un artiste, c'est égoïste, c'est la quête de la gloire, la course aux honneurs, c'est une m... dans un costard qui la ramène sans arrêt...' Il ne mérite pas une chanson en forme d'hommage. Son morceau La vie d'artiste n'explique rien d'autre : 'C'est une chanson sur les gens. Je leur dis : rentrez chez vous et faites des disques. Si, moi, je fais des chansons, tout le monde peut le faire, tout le monde a le droit de le faire et tout le monde devrait le faire, en tout cas, les gens qui en ont envie. Or, il y a un tas de complexes par rapport à ça. Je connais des artistes merveilleux qui n'ont aucune prétention d'artiste...' Et Jeff Bodart d'exploser à chaque fois qu'on lui colle le mot 'professionnel' à la peau. Tout cela ne l'empêche pas d'éprouver 'tendresse et sympathie 'pour les artistes avec un grand A. 'Et puis tant d'égocentrisme, ça rend fragile?. Je suis bien placé pour le savoir...' 'Je ne veux pas ennuyer avec un prêchi-prêcha mais j'ai beaucoup de chance par rapport à des gens qui font un boulot qu'ils n'ont pas choisi ou qu'ils n'aiment pas pour lesquels c'est la galère ou, pire encore, qui n'ont pas de boulot. Mon devoir moral se situe là : rayonner, en donner le plus possible. Quand je dis qu'il ne faut faire que ce qu'on sait bien faire, ce pourquoi on est fait, j'exprime la même idée. Je ne dis pas que j'y arrive, c'est une quête. On pourrait me lancer : 'ce malin à la casquette est gonflé de vanité' Mais, si au moins, on tend vers ce but, c'est toujours ça de pris sur l'ennemi.' Et un chanteur peut-il tout dire ? 'La question est plutôt : est-ce que n'importe quel être humain a le droit de tout dire ? Moi, je me donne ce droit-là en tant qu'être humain,. Mais pas plus ni moins qu'un autre. Au fond, non .Parce qu'à partir du moment où tu bénéficies d'une tribune libre, tu dois évidemment faire attention. C'est la moindre des choses...'

Haut de page