Jeff Bodart

Jeff Bodart

Presse 2003/2005

Frères d'émotions

La Libre Essentielle, novembre 2005

Depuis quand vous connaissez-vous ?
JEFF : Un paquet d'années. Je préfère rester vague, mais la relation est ancienne.
BEN : Nous parlons hélas, en décennies.

Avez-vous travaillé ensemble ?
JEFF : Pas vraiment. Il nous est arrivé d'écrire des textes et de chanter ensemble, notamment sur mon second album. Benoît m'a rejoint sur scène à plusieurs reprises, mais c'était plutôt dans l'idée de faire la fête ensemble.

Comment définiriez-vous l'amitié ?
JEFF : C'est une relation franche, sincère et intime, mais elle laisse des parts d'ombre. La question n'est pas de tout se dire ni de tout partager : la confiance en l'autre donne cette curiosité. L'amitié permet de se concentrer sur certaines choses importantes, en ne mélangeant pas tout.
BEN :En amour, tu donnes, mais tu attends quelque chose. En amitié, tu donnes mais tu n'attends pas spécialement. Tu reçois, bien entendu, sinon la relation ne tient pas, mais c'est d'un autre niveau : il y a une part de gratuité dans la force de l'amitié. Je suis également d'accord avec Jeff sur l'idée que l'on ne partage pas tout. La part d'ombre nourrit quelque part cette amitié.

On vous dit tous les deux timides?
JEFF : La timidité est quelque chose dont je parle difficilement, et je ne le ferai pas si Ben ne me l'avait demandé. Je reconnais être timide. Ça a quelque chose à voir avec l'exposition que nous connaissons tous les deux. Au lieu de me cacher, j'en remets dès que je me retrouve autour d'une table avec trois inconnus. C'est comme si je devais me jeter à l'eau. Ce n'est ni un jeu, ni de la fausse pudeur. Cette exubérance est de l'ordre de la protection. En rajouter me permet de dominer cette difficulté. C'est plus facile d'hurler devant 1000 personnes que de parler simplement à cinq personnes inconnues. Cela dit, il ne faut pas confondre cette attitude avec le fait d'être en représentation ou de jouer un personnage.
BEN : Ce côté représentation est quelque chose que j'entends à mon sujet. Je pense que cela est lié au caractère public de mon quotidien. Je pense également que les gens attendent cette représentation. Quand j'ai devant moi un photographe, il n'a guère de temps et veut voir Poelvoorde, le personnage. Dans ce cas, je le lui offre. J'ai envie de faire plaisir. Si je suis invité quelque part et qu'il y a déjà cinq ou six personnes autour de la table, mon exubérance ne sera pas motivée par la timidité - car je ne pense pas être timide -, mais bien parce que j'ai l'impression que si Poelvoorde ne joue pas un personnage, la fête sera triste. C'est comme si je me sentais responsable. JEFF : Le danger est d'en faire un peu trop et de passer pour une grande gueule alors que ce n'est pas cela du tout.

Cela traduit-il un manque de confiance en soi ?
JEFF : Je ne pense pas, même si c'est une question délicate. La vie d'artiste, écrire ne peut pas se vivre sans un minimum de confiance en soi.
BEN : Je pense également avoir confiance en moi.

Et la pudeur ? Est-elle liée à la timidité ?
JEFF : La timidité est un comportement qui résulte de petites ou de grandes pudeurs. C'est de l'ordre de la délicatesse et de la retenue. Les choses sont liées.
BEN : La timidité est liée a l'ordre social tandis que la pudeur est un rapport à soi. La timidité se vit en fonction de l'autre, c'est une attitude liée à l'éducation et aux habitudes. C'est peut-être une peur de l'autre alors que la pudeur serait peut-être une peur de soi. J'ai dit que je ne pensais pas être timide, alors que, pudique, je le suis.

Qu'est-ce qui nourrit une amitié sur le long terme ?
JEFF : C'est comprendre qu'elle ne se résume pas aux moments où l'on fait les guignols. L'amitié, ce sont aussi de beaux moments d'intimité, voire d'ennui, où l'on construit des liens puissants. Il y a aussi ce que l'on partage. On a tous les deux la quarantaine, un âge où l'on se posé pas mal de questions. Être capable d'aimer. Regarder dans le rétroviseur. Rêver de nouveaux projets. Parler d'enfants. Ni l'un, ni l'autre, n'avons d'enfants, autre réalité que nous partageons.

Est-ce un manque ?
JEFF : Les enfants sont importants, mais je ne vis pas leur absence dans ma vie comme un manque.
BEN : Je ne me souviens pas avoir parlé d'enfants, mais nos compagnes en parlent. Je ne peux pas parler de manque car je n'en ai jamais eu. Quelqu'un qui a perdu un enfant peut parler de manque, pas moi.

Et pour vous, Benoît, qu'est-ce qu'un signe d'amitié ?
BEN : Comme Jeff le dit, c'est aussi s'apprécier dans le calme. Ce peut être une réponse que vous ne pouvez trouver seul. Un jour, j'ai longtemps hésité à faire un film. Mes proches me disaient : « ne prends pas, tu vas te casser la figure ! » Je ne savais comment faire car je voulais aider le réalisateur. J'ai appelé Jeff. Il m'a dit : « fais-le, fais-le pour toi et pour l'autre. Quand tu fais plaisir à quelqu'un, tu ne peux pas être déçu. » Le film n'a pas été un grand succès, mais je n'ai pas été déçu. Cette manière de me pousser à faire confiance était un beau signe d'amitié.

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